Inventer le manuel scolaire du futur ne consiste pas seulement à insérer des vidéos et des liens Internet dans un livre de cours traditionnel. Il me semble qu’avec les nouvelles possibilités des publications digitales nous avons pour la première fois l’occasion de redonner au manuel scolaire un rôle central dans le cœur même de l’activité pédagogique en classe et hors de la classe.
L’art d’enseigner est un art de l’orchestration (voir les articles de Pierre Dillenbourg sur ce sujet). L’enseignant compose une partition où alternent les présentations en classe, les travaux individuels et activités en petits groupes. Cette partition constitue ce que l’on appelle un script pédagogique. Des nombreuses recherches étudient la manière dont les scripts peuvent bénéficier de l’apport des outils informatiques, tout en laissant à l’enseignant son rôle central de chef d’orchestre. La salle de cours dans son intégralité devrait idéalement être repensée pour permettre la transition fluide entre les travaux individuels, en petit groupes ou avec la classe tout entière, et permettant une continuité dans les flux de documents. Ceci est évidemment un vaste chantier.
En attendant que l’école du futur advienne, les manuels scolaires pourraient jouer déjà dépasser leur fonction en grande partie obsolète de support de connaissance pour devenir de véritables outils d’orchestration. Dès le moment où l’on pense le livre comme une machine capable non seulement d’accueillir du son et de la video mais aussi de véritable petits « widgets » interactifs, il devient possible d’imaginer des scripts pédagogiques intégrés dans le corps même du manuel.
Imaginons par exemple un manuel de chimie dont l’un des chapitres présente les propriétés réactives de certaines molécules. Les dernières pages du chapitre pourrait intégrer un exercice interactif demandant individuellement à chaque élève de prédire le produit d’une réaction particulière. Les élèves auraient à choisir entre deux résultats possibles. L’enseignant pourrait immédiatement décider de montrer la répartition des réponses à la classe et le diagramme s’afficherait par exemple sur l’une des pages du manuel. Sans donner à ce stade la réponse à l’exercice, l’enseignant pourrait alors choisir de grouper deux par deux les élèves ayant choisi des résultats contradictoire et les encourager à trouver ensemble un consensus. Le résultat de ce travail de groupe serait lui-même consigné dans un des « widget » du manuel et l’enseignant pourrait de nouveau montrer la nouvelle répartition des réponses. Il donnerait enfin l’explication de la réaction, dévoilant peut-être du même coup certaines pages jusque là invisible du manuel.
L’idée centrale est que ce nouveau type de manuels garderait la trace de ce long processus d’exploration individuelle, d’argumentation en petit groupe et d’explication ex cathedra. Il serait support de cours et mémoire du processus d’apprentissage.