Les livres vont-ils devenir des applications ?

septembre 23, 2010

J’ai écrit un court billet hier sur le site de l’Atelier intitulé « ePub : Pourquoi le monde de l’édition s’est trompé de format ». Il a suscité plusieurs remarques et il me semble utile d’apporter ici quelques éléments de clarification.

1.     En devenant une application, le livre intègre sa propre interactivité. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il devient plus interactif. Si l’auteur d’un roman souhaite proposer  son récit sous la forme d’une œuvre immersive, fonctionnant sans aucun pont vers l’extérieur pour garder le lecteur dans un univers textuel et graphique maîtrisé, il le peut. Si le même auteur souhaite dans une seconde partie proposer un « making of » racontant de manière beaucoup plus interactive la genèse de son texte, en intégrant des vidéos et des liens vers d’autres sites, il le peut aussi. Ces deux types d’expériences lecture coexistent alors au sein du même livre-application, mais elles sont bien distinctes. Si l’auteur d’un essai veut que chaque mot de son texte permette d’accéder à des informations supplémentaires ou que chaque page soit le début d’une discussion, il le peut. Si l’auteur d’un album pour enfant souhaite proposer des séquences animées à chaque page de son histoire, il en spécifiera l’interactivité comme il le souhaite. C’est précisément parce qu’il existe une multitude de livres et d’expériences de lecture qu’il faut permettre aux auteurs et aux éditeurs de spécifier cet aspect fondamental de la lecture au cœur des œuvres qu’ils créent.

2.     Malgré la diversité des interactivités qu’il peut proposer, les livres-applications devraient pouvoir être décrits avec un unique langage de programmation versatile et maîtrisable par ceux qui aujourd’hui travaillent dans la chaîne du livre. Après tout, nous avons de nombreux exemples de langages possédant ce genre de qualité dans le monde de l’informatique. Il est d’ailleurs probable que plusieurs langages de ce genre fassent leur apparition dans les mois qui viennent. Évidemment, la nature précise de ces langages,  leur syntaxe, leur caractère ouvert ou fermé, seront d’une importance capitale pour la nouvelle industrie du livre qui est en train de se dessiner.

3.     Le fait que les formes imprimées se réinventent sous forme d’applications ne contraint en rien les différents modèles commerciaux qui pourraient se développer ou le type de modèle de distribution envisageable. Certes, les livres-applications peuvent être vendus comme des applications autonomes, mais ils peuvent également être achetés et lus dans des applications librairies, diffusés par diffuseurs, etc. En fait, toutes les fonctions de la chaîne du livre pourraient se reconstituer autour d’une nouvelle chaîne dont les technologies centrales ne seraient plus celles du livre imprimé mais celles du livre programmé. Comme au début de l’imprimerie, les premiers producteurs de ces livres-applications sont des imprimeurs-éditeurs-libraires. Mais ces fonctions sont irrémédiablement condamnées à de nouveau se différencier.

10 Réponses to “Les livres vont-ils devenir des applications ?”

  1. ap Says:

    « Malgré la diversité des interactivités qu’il peut proposer, les livres-applications devraient pouvoir être décrits avec un unique langage de programmation »

    A-t-on besoin d’un nouveau langage de programmation ou d’un outil d’édition, appuyé sur des modèles de document/application ?

    Flash représente bien (a bien représenté ?) cette dualité, entre outil de saisie interactive, visualisation rapide des modifications et définition d’un format d’enregistrement pour le monde de l’animation.

    Il me semble que certains bons éditeurs XML (j’aime particulièrement pour cela XMLMind XMLEditor de Pixware), à condition d’être utilisés avec DTD ou schémas adaptés au livre-application et CSS correspondantes, offrent dès aujourd’hui un environnement de création adapté.

  2. kael Says:

    @FrédéricKaplan : La question que je me pose est : « êtes-vous programmeur ? ».

    Je n’en ai pas l’impression – mais je n’en sais rien – et vos tribunes sur l’Atelier.fr et ici laissent penser que vous avez plus un point de vue marketing qu’informatique.

    Le HTML5, les CSS3, le SVG et JavaScript permettent d’obtenir des effets avancés qui rappellent ceux que vous décrivez.

    Au lieu d’un langage de programmation propre, peut-être faudrait-il définir une API JavaScript standard pour les eBooks, à la manière de la Geolocation API Specification qui spécifie comme accèder en JavaScript aux informations de géolocatisation (comme sur un navigateur). Ainsi, il pourrait être possible de définir des méthodes standards en JavaScript qui implémenteraient les effets de lecture les plus courants.

    Aussi, si j’ai envie d’annoter mon eBook ou de modifier le code, ce n’est pas l’affaire de l’auteur ou de l’éditeur. Mon eBook, je l’affiche et l’organise comme il me plaît. Si l’auteur peut souhaiter une mise en page, il manifesterait une volonté de « toute puissance » s’il voulait empêcher le lecteur d’enrichir ou de modifier l’oeuvre pour son usage personnel.


    • Oui je suis programmeur et vous avez raison plusieurs langages qui existent aujourd’hui permettent de réaliser des choses tout à fait convenables en terme d’interactivité et de rendu graphique… la question de fond qui au coeur de débat est: veut-t-on donner au lecteur le choix de faire ce qu’il veut d’un texte brut ou souhaitons-lui offrir une expérience de lecture contrainte et maîtrisé. C’est un choix éditorial et pas technologique. Il faut laisser ce choix aux auteurs et aux éditeurs. En tant qu’auteur je peux vouloir diffuser mon livre pour qu’il soit annotable, réorganisable, affichable de multiples manières ou je peux souhaiter au contraire choisir une police particulière, une mise en page definie. Le langage de programmation qui sera au coeur de la publication numérique de demain devra permettre ces différentes possibilités et pas imposer par defaut l’une ou l’autre à tous les « contenus ».

      • ap Says:

        À ce titre, il me semble qu’on a intérêt à distinguer langage de description de données et langage de programmation.

        Un premier raffinement pourrait consister à indiquer explicitement dans les CSS les préconisations des auteurs et éditeurs, avec les limites de variation qu’ils sont prêts à assumer comme conformes à leur intention lors de la publication.

        Charge à l’application de restitution d’avertir le lecteur quand ses paramètres sortent des limites prévues.


  3. […] très largement. Il est possible de continuer la discussion avec Frédéric Kaplan sur son blog. Provocateur jusqu'au bout:"Toutes les fonctions de la chaîne du livre pourraient se […]


  4. […] des œuvres qu’ils créent”, en leur permettant de créer les applications de leurs choix, rétorque Frédéric Kaplan dans un article complémentaire sur son blog. En devenant une application, le livre intègre certes sa propre interactivité. Mais pour de […]


  5. […] à l’encyclopédisme, les applications retrouvent la forme close des livres qui en faisait des îles, des réservoirs d’innovation. Les applications offrent plus de […]


  6. Bonjour,

    Désolée de régir si tard à cet article de très bonne qualité, mais, travaillant chez Europa-Apps, éditeur de livres-applications pour enfants, j’ai le plus grand mal à trouver un ordre de grandeur de rémunération que nous pourrions proposer à nos auteurs. En effet, et comme vous le décrivez très bien, le processus de création d’une application est tout de même très différent de celui d’un simple livre (il faut penser aux interactions, faire de nombreux dessins pour les séquences animées…)
    Auriez-vous une idée là-dessus ? Sinon, sauriez-vous m’orienter vers des personnes au fait de ces problématiques s’il vous plaît ?

    Bien cordialement,

    Eurydice Lafferayrie


  7. […] ePub par le monde de l’édition. Suite aux nombreuses réactions, il a précisé sa position sur son blog. Selon lui, l’avenir du livre numérique serait à chercher du côté du livre application. […]


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