Les mots croisés vénitiens

octobre 14, 2013

J’étais la semaine dernière à Venise pour l’organisation de la première école doctorale entre l’Université Ca’Foscari et l’EPFL. Une petite trentaine d’étudiants des sciences historiques et des sciences de l’information ont pu travailler en groupe autour de projets liés à la Venice Time Machine. Nous avons créé un site web dédié à cet évènement. J’ai également profité de cette semaine vénitienne pour progresser sur notre projet de reconstruction cartographique avec Isabella di Lenardo, une chercheuse de l’IUAV. Il s’agit de tenter d’ajouter un « slider » aux systèmes d’informations géographiques comme Google maps pour pouvoir remonter dans le temps et tenter de recréer l’état de la ville et de sa population, année après année sur une période d’au moins 500 ans. Nous parlerons de ces recherches lors du table ronde sur « la carte et le temps » que j’organise demain au SITG 2013, à Genève.

Une carte de Venise de 1829

Une carte de Venise de 1829

Les deux ans premières centaines années ne posent que peu de problèmes. Les systèmes cartographiques et cadastraux du XIXe siècle ressemblent encore beaucoup aux nôtres.  Les procédures mises en place par Napoléon en 1797 nous sont familières. Nous disposons également à partir de cette période de recensements précis de la population. L’ensemble de ces données constitue une base solide pour faire revivre la Venise des 200 ans dernières années.

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Une carte de Venise en 1765

La situation est plus complexe entre le XVIIIe siècle et le début du XVIe siècle. Les cartes sont encore nombreuses, mais ne peuvent plus être considérées directement comme des objets géométriques. Nous disposons de déclarations d’impôts des Vénitiens jusqu’au début du XVIe siècle, mais elles indiquent rarement les adresses de manières précises. Nous avons que telle boutique est dans telle calle, près de tel palazzo.  En fait le problème que nous avons à résoudre ressemble à un mot croisé géant. Nous partons de quelques points fixes qui n’ont que peu bougés dans le temps, comme un point ou un palais, et de proche en proche nous tentons de placer les maisons. Certaines reconstitutions s’avèrent après exploration des impasses. Il nous faut, comme dans les mots croisés, revenir en arrière, tester une autre hypothèse de départ et voir si, dans ces conditions, nous réussissons à reconstruire une solution qui respecte tout ce que nous savons de la ville à une époque donnée. À ce jeu exploratoire, les ordinateurs ne sont pas mauvais. Il est d’ailleurs possible qu’un certain nombre de nos mots croisés vénitiens ne puisse en fait être résolu qu’avec leur aide.

Une carte de Venise en 1550

Une carte de Venise en 1550

Avant 1500, les choses se compliquent encore. Plus de carte, plus de déclaration d’impôts. Simplement des témoignages indirects et des éléments archéologiques. Mais même si les documents se font plus rares, nous pouvons toujours tenter d’extrapoler, de simuler, de reconstruire des Venises compatibles avec ce que nous savons. Car au final, il ne s’agit pas tant de reconstruire le passé véritable que d’explorer l’espace des Venises possibles, un espace toujours resculpté par les nouvelles découvertes historiques, un espace trop grand pour tenir dans la tête d’un seul chercheur, mais que l’informatique peut nous aider à cartographier ensemble.

2 Réponses to “Les mots croisés vénitiens”


  1. […] Read full post here. (Originally posted October 14, 2013) […]


  2. […] à propos de bases de données de correspondances, de cinéma de propagande, de mots-croisés vénitiens, de chinoiseries, d’une visite du Shah à Berlin, de #digitalfirst, du travail des […]


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