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La construction collective des métadonnées en bibliothèque

avril 28, 2012

Nous avons organisé ce jeudi, avec Alain Jacquesson et Silvère Mercier (blog), une formation pour les bibliothécaires (comme l’an dernier) au Salon du Livre de Genève.  Alain Jacquesson a fait un point complet et critique sur les ressources numériques disponibles aujourd’hui pour les bibliothèques et les centres de documentation en ce qui concerne les revues (NewJour, DOAJ, Seals, Revues.org, CAIRN) et les monographies (Projet Gutenberg, Gallica, Rero.doc, Google Livre, Internet Archive, Hathi Trust). Il a également fait le point sur les nouveaux services de prets (Overdrive, Amazon). Silvère Mercier a proposé un atelier sur les stratégies des médiations numériques en faisant découvrir par la pratique les outils pour proposer du contenu éditorial sous la forme  de « dispositifs ponctuels » (storify, mindmeister, Libraything, scoop.it, Google maps, Dailymontion, Pearltrees, Markup.io, Prezi, etc.) à insérer dans des « dispositifs de flux » (Blog, twitter, profil Facebook, etc.). J’ai pour ma part proposé d’explorer la manière dont on pouvait développer en bibliothèque la lecture sociale et la production collective de métadonnées, une direction encore relativement peu explorée. Le billet ci-dessous reprend en partie mon argumentaire. 

 

 

La bibliothèque est une interface physique 

Une bibliothèque est toujours un volume organisé en deux sous-espaces : une partie publique (front-end) avec laquelle les usages peuvent interagir, une partie cachée (back-end) utilisée pour la logistique et le stockage.  A la Bibliothèque Nationale de France, c’est un système robotisé qui fait la jonction entre les espaces immenses et sous-terrains ouverts au public et les quatre tours qui stockent les livres. L’architecte Dominique Perrault a imaginé une vertigineuse bibliothèque-machine où la circulation des hommes a été pensée symétriquement à la circulation des livres.

Alain Galey discute dans « The Human Presence of Digital Artefacts » la vue séctionnée de la New York Public Library telle quelle apparait sur la couverture du Scientific American le 27 Mai 1911. La bibliothèque est ici sans ambiguïté présentée comme interface physique mettant en contact des lecteurs avec des collections de livres archivés. Au sommet les bibliothécaires gèrent les requêtes et le catalogue et utilisent un système de tubes pneumatiques pour commander les livres stockés dans les étages inférieurs. Les livres, une fois localisés, remontent vers par des mini-ascenseurs.  Presque un siècle avant la bibliothèque Francois Mitterand, la NY Public Library est présentée commune une bibliothèque-machine, préfigurant le rêve de l’open-access des digital humanities.

Dans d’autres grandes bibliothèques et surtout dans tous les centres de documentations de taille beaucoup plus modeste, c’est encore aujourd’hui une logisitique humaine plus ou moins complexe qui organisent les circulations de livres entre le front-end et le back-end. Dans un article du dernier numéro de ligne en ligne, Véronique Poirier décrivait avec poésie l’articulation de ces deux espaces à la BPI.

Tous les matins et chaque mardi, la bibliothèque est fermée au public. Elle se transforme alors en une vaste ruche où se croisent les chariots bleus, rouges, jaunes, verts. Des livres quittent les étagères, d’autres les remplacent. L’espace étant limité, une volumétrie stable (près de 390 000 livres), doit être maintenu grâce à une gestion rigoureuse de l’équilibre entre le nombre d’ouvrages acquis et le nombre de « désherbés ».

Ce souci d’équilibre et de sélection, éléments clés dans la gestion de toutes les bibliothèques et centre de documentation, grand ou petit,  est aussi une des problématiques centrales des interfaces. Celui qui conçoit un site web ou une application iPad se demande également comment organiser au mieux l’espace de navigation et les cheminements des utilisateurs, comment articuler l’expérience « front-end » avec la logistique et le stockage back-end. Mais quand le créateur d’applications doit composer avec une surface de quelques centimètres carrés, le bibliothécaire dispose lui souvent d’un volume articulable en rayonnage, en espace d’échanges, en zones de travail spécialisées.

Durant les dernières années, nous avons vu apparaître de grandes bibliothèques construites selon un autre type d’organisation. Le Rolex Learning Center au sein duquel j’ai la chance d’avoir mon bureau, est organisé selon une logique tout autre et selon un plan qui optimise plus les échanges et les activités autour du livre, que l’accès aux livres eux-mêmes. Cette nouvelle tendance peut-elle servir de modèle directeur pour des bibliothèques de taille plus modeste ?

La tentation de la virtualité 

Avec l’arrivée du numérique, Il est tentant pour la bibliothèque de nier sa dimension physique, de ne devenir qu’une machine à information aux front-ends démultipliés, accessibles par toutes sortes de terminaux et aux back-end entièrement informatisés. On se souvient que Jacques Attali, alors conseiller de Francois Mitterand, avait en son temps critiqué le projet architecturale la bibliothèque-machine de la BNF pour lui opposer l’urgente nécessité d’une BNF directement numérique et algorithmique, accessible de partout et qui serait le meilleur outil possible pour la diffusion de la culture française à travers le monde.

Mais sur ce point, les questions stratégiques et patrimoniales des grandes bibliothèques ne rejoignent pas les questions locales pour nombre de modestes centres de documentation. Les bibliothèques n’ont aujourd’hui que des droits très encadrés pour l’exploitation digitale des livres qu’elles proposent en lecture ou en prêt. Impossible pour elles de construire de nouveaux services en exploitant directement des nouveaux circuits commerciaux de livre numérique « grand public » dans la mesure où la législation leur interdit la diffusion de contenus obtenus « sous le régime réservé à l’acquisition personnelle » (rappelons que les bibliothèques achètent plus cher les livres et les DVDs précisément pour pouvoir les exploiter dans le cadre particulier des services qu’elles proposent). Dans ces conditions, il est peu étonnant que ce soit en ordre dispersé et expérimentant parfois dans les zones grises qui entourent ces nouveaux usages, qu’elles essaient aujourd’hui de proposer certaines offres de prêt numérique complémentaire à leurs services traditionnels.

Dans billet écrit suite à un différent avec une bibliothécaire de Martigues, François Bon rappelait les deux manières de lire du numérique en bibliothèque

a. La bibliothèque acquiert le droit de diffusion un certain nombre de titres à un tarif défini par l’« interprofession » et les diffuse avec des DRM chronodégrable (la lecture n’est autorisée que pendant un certain temps).  En France, c’est la solution adoptée par Numilog basé sur Adobe Digital Reader et un logiciel de lecture particulier type Bluefire par exemple).

b. La bibliothèque acquiert le droit de diffuser en streaming certains contenus à des utilisateurs identifiés (via leur carte d’abonné par exemple). Plusieurs bibliothèques diffusent de cette manière les titres de publie.net

Ces nouvelles formes de prêt numérique sont un enjeu important et transverse sur dans le paysage de la lecture numérique. Il faut suivre avec attention les initiatives canadiennes dans ce domaine  au travers de la plateforme pretnumerique.ca (voir le billet de Clément Laberge) qui combine les usages de types a et b pour éviter que ce marché soit remporté par des fournisseurs externes. En effet, le risque est de voir la bibliothèque se faire l’intermédiaire de solution de prêt proposé par d’autres fournisseurs. La solution Overdrive est par exemple adoptée par un nombre semble-t-il croissant de bibliothèques aux USA. Ces questions sont donc en rapport direct avec la constitution des plateformes interprofessionnelles et de circuits de distribution indépendants des grands libraires digitaux que sont Google, Apple et Amazon.

Néanmoins, penser que l’avenir des bibliothèques se joue uniquement dans le succès ou l’échec de leur virtualisation et la constitution d’archives de contenus « empruntables » est peut-être un pari risqué. En ne portant son attention que sur l’indépendance des circuits de distribution et des services numériques, ne risque-t-on pas de passer à côté de ce qui pourrait être la vraie valeur des bibliothèques dans ce paysage de pratique de lecture en grande mutation ?

Pour Silvère Mercier, les bibliothèques peuvent se différencier en proposant de l’information de qualité, des services de questions-réponses et d’autres activités éditoriales. À côté des organes de presse, elles peuvent proposer une information et des services différents, ancrés dans leur rôle de service publique. C’est une piste riche et passionnante, déjà bien explorée par certaines initiatives locales.

Parmi ces services, il me semble qu’un dispositif particulier mériterait d’être développé de façon plus poussée : la construction et la curation collectives des métadonnées.

La bibliothèque comme lieu de production et de curation collective de métadonnées riches

Une bibliothèque n’est pas qu’une archive de contenus accessibles selon des règles de prêt particulières. C’est aussi et avant tout une interface physique de découverte. Je discutais dans un précédent billet de la pauvreté des interfaces proposées par les grandes libraires numériques. Deux types d’algorithmes statistiques sont utilisés en exploitant soit les corrélations d’achats ( “Ceux qui comme vous ont acheté ce livre ont aussi aimé celui-là”), soit les corrélations d’opinions (“Ceux qui ont aimé ce livre ont aussi aimé celui-là”). Les livres ne sont, dans ce jeu algorithmique, que de simples identifiants, des produits comme les autres.

Une des missions de la bibliothèque est d’organiser une rencontre physique différente entre des lecteurs et des livres. Le bibliothécaire est un match-maker. Il peut travailler à cette mission en utilisant aux mieux les trois atouts qu’il a sa disposition : un espace physique organisable, une équipe compétente et une communauté locale plus ou moins fidèle.

Beaucoup d’exemples tirant profit de ce triangle vertueux pourraient être envisagés, mais dans ce billet je ne développerai qu’une lignée de pratique qui semble pertinente (et relativement nouvelle). Les bibliothèques et les centres de documentations peuvent participer à l’organisation la production et la curation sociale de métadonnées riches.

La production et l’organisation métadonnées ont toujours été au coeur du travail du bibliothécaire. Elles constituent une de ces compétences premières. Plusieurs exemples récents ont montré que dans certaines conditions la production sociale de métadonnées riches était envisageable pour peu que les bonnes boucles d’engagements soient mises en place (voir mes billets Wikipedia est un jeu et Un monde où chaque ville est un livre). En détaillant par exemple des fiches de personnages, de lieux et d’objets, d’auteur sur les livres les plus empruntés et invitant les usages à faire de même, une bibliothèque peut mettre en place une communauté locale de pratique, une sorte de club de lecture qui travaille lui-même à un but plus vaste et organise ses contributions dans un réseau d’autres communautés locales.

Pour cela il faut bien sûr des outils communs et neutres.  Je n’ai pas de doute que des tels outils seront créés dans les prochains mois, car plusieurs dynamiques poussent dans ces directions

— Le développement des humanités digitales et la prise de conscience de leur importance géostratégique (voir mon billet sur cette question)   permettent de dégager d’important fonds de recherche académique dans ces nouvelles directions. Une des missions des humanités digitales est précisément de contribuer à la production d’outils communs et neutres permettant à des communautés de pratiques de s’organiser pour produire des métadonnées riches.

— La prise de conscience simultanée de l’importance historique des bibliothèques dans la constitution du capital linguistique et sémantique (voir mon billet « Le trésor de guerre de Google Books ») et de l’importance de ne pas laisser ce capital entièrement dans des mains privées. Les bibliothèques ne peuvent que dans des conditions particulières numériser et diffuser les livres qu’elles proposent, mais elles peuvent en extraire des informations linguistiques et sémantiques et les rendre accessibles gratuitement comme un bien commun. De la même manière qu’elles ont parfois contribué sans s’en rendre tout à fait compte à la constitution des nouveaux empires du capitalisme linguistique, elles peuvent aussi maintenant jouer un rôle moteur dans constitution d’immenses bases de données libres détaillant le contenu des livres, leurs relations mutuelles et permettant ainsi les bases d’outils de découverte sans précédent.

Une interface physique centrée sur la visualisation et la production de métadonnées

Plutôt que de construire une bibliothèque pensée comme une interface physique à la distribution de livres (le modèle de la bibliothèque machine que nous avons discuté au début de ce billet) nous pourrions envisager d’adapter certains espaces des bibliothèques aux activités de curation collective. Tout pourrait commencer par des visualisations intéressantes. La bibliothèque pourrait par exemple présenter un grand mur une carte des relations entre les auteurs d’un certain pays, la géographie des lieux d’une famille de romans policiers, l’arbre généalogique des personnes d’une saga, etc. Ces données visuelles, ces diagrammes et ces cartes seraient autant d’invitation à découvrir des livres et des auteurs nouveaux.

Dans une seconde étape, le bibliothécaire pourrait inviter les abonnés les plus motivés à participer à ces processus cartographiques. Notre expérience avec Bookworld nous a confirmé que visualisation et participation sont intimement liées. Voir un livre-ville complexe donne envie d’en construire un soi-même. La bibliothèque en mettant en scène et en valeur les productions de certains abonnés pour amorcer des pratiques locales, une forme de nouveaux clubs de lecture, où il ne s’agirait plus tant de critiquer les livres qu’on a lus, mais de travailler ensemble à leur cartographie.

Les métadonnées que les bibliothécaires produisent, structurent et organisent depuis les débuts des pratiques documentaires ont toujours été à la base de l’organisation physique des espaces que les bibliothèques proposent. Pourquoi ne pas continuer dans cette voie en élargissant les pratiques et les services à une communauté locale de lecteurs ?

Bookworld : Pourquoi expliciter le réseau interne des livres

mars 16, 2012

La première version de l’application iPad Bookworld est disponible sur l’AppStore depuis une semaine (voir la présentation et l’historique du projet dans mon précédent billet). Le Temps a  fait un bel article dessus. L’application sera également présentée au Salon du Livre de Paris ce samedi. Lorsque nous avons montré pour la première fois l’application il y a quinze jours, de nombreuses personnes m’ont demandé à quoi pouvait bien servir une application dans laquelle chaque livre est une ville. Ceci mérite peut-être en effet une petite explication.

Un livre n’est pas une trottinette

Mon discours sur le potentiel et l’importance de Bookworld rejoint par certains aspects celui que tient Valla Vakili lorsqu’il parle de Small Demons. A l’heure des grandes librairies digitales, comment découvre-t-on un nouveau livre ? Le processus de découverte est aujourd’hui presque entièrement délégué à deux types d’algorithmes basés sur l’analyse de deux types de corrélations statistiques.

Les premiers font du data mining sur les corrélations d’achats. « Ceux qui comme vous ont achète ce livre on aussi aimé celui-là ».

Les seconds font du data mining sur les corrélations d’opinions. « Ceux qui ont aimé ce livre ont aussi aimé celui-là ».

Dans les deux cas, les livres ne sont rien d’autre des identifiants dans une grande base de données de produits. Ils se résument à leur ISBN ou plus généralement à leur SKU. Leur « contenu » est au mieux « taggé », le plus souvent totalement ignoré. Le fait qu’Amazon ait étendu cette même algorithmie commerciale à une myriade d’autres produits est tout à fait révélateur du fait que cette machinerie ne fait aucune différence fondamentale entre un livre et une trottinette.

De plus, dans les deux cas, les statistiques de corrélations tendent à former de grands « hubs » où un petit nombre de livres pivots deviennent des passages obligés. L’algorithmie « homophile » renforce les best-sellers par rétroaction positive et ne favorise pas les chemins de traverses (voir le billet de Hubert Gillaut sur ce point ainsi que les réflexions de Danah Boyd).

Derrière ces choix algorithmiques se cachent donc des enjeux essentiels pour les chemins de la découverte d’objets culturels nouveaux.

Un livre contient lui-même un réseau d’objets culturels

Dans Bookworld, nous considérons qu’un livre est déjà un réseau complexe en tant que tel. Tout livre est une une organisation temporelle et spatiale qui structure un discours sur des personnes, des lieux, des objets (c’est même une des fonctions centrales du livre selon Pascal Robert). C’est pourquoi nous le représentons sous la forme d’une ville, métaphore potentiellement riche pour donner corps à ce réseau d’interaction.

L’application est construite pour que les lecteurs aient envie d’entreprendre ensemble ce travail titanesque qui consiste à document ce réseau, à l’expliciter. Plus il y a d’information sur un livre, plus la ville le représentant devient complexe, plus elle se lie à d’autres livres-villes construisant ainsi petit à petit la topologie de ce monde livresque.

Rob le héros du roman « Haute Fidelité » de Nick Hornby a une chanson pour chaque moment de la vie. Son passe temps favori consiste à classer les musiques (et accessoirement aussi les films) dans des TOP 5 thématiques. Quand je visite dans Bookworld la ville livre correspondant au roman, je découvre ou redécouvre cette constellation de films et de musiques. Au loin je vois d’autres villes-livres qui partagent certaines références en terme de musique, films, etc. des connections parfois insoupçonnées qu’aucun autre système de recommandation artificiel ou humain n’aurait pu trouver s’il a fait l’économie de ce processus cartographique.

La lecture est un processus d’attachement puis d’incorporation

Dans son exposé à Books in Browsers Valla Vakili explique bien que la lecture d’un livre est essentiellement une rencontre entre les référents culturels d’un lecteur et l’univers organisé de référents culturels proposé par une narration. Le personnage que Nick Hornby dessine en creux à partir à partir des objets culturels qu’il aime ou déteste me parle car je me retrouve d’une certaine manière dans ses références ou dans sa relation avec la musique. Ce processus d’attachement est fondamental dans ce qui nous fait aimer un livre. Inversement, quand un livre nous laisse indifférent ce que nous n’avons pas pu réussi à créer ces liens.

Si la rencontre entre le livre et son lecteur se passe bien, ce dernier incorpore, petit à petit, certains référents culturels du livre. Nous les faisons notre. Après ma rencontre avec la Terre du Milieux, les Hobbits ont désormais fait partie de mon monde… Tout comme ce morceau de Marvin Gay que la lecture de « Haute Fidelité » m’a fait écouter pour la première fois. Riches de ces nouveaux référents nous sommes prêts à de nouvelles rencontres livresques qui nous auraient peut-être laissées indifférents quelques semaines plus tôt. La métaphore touristique file toujours aussi bien. Dans le monde des livres aussi, certains itinéraire sont meilleurs que d’autres.

Documenter le contenu des livres ne tient donc pas d’un simple excès encyclopédique. Les liaisons narratives explicitées dans Bookworld ont une pertinence bien différente des corrélations statistiques exploitées par les algorithmes d’Amazon ou d’Apple. Caché dans la structure de ces réseaux que nous nous proposons de collectivement expliciter se cache sans doute une autre algorithmie de la découverte.

Editeurs, libraires, bibliothécaires : maîtrisez votre futur numérique !

avril 29, 2011

Lundi 2 mai, Hubert Guillaud et moi-même organisons au Salon du Livre une journée d’ateliers pour la formation des éditeurs, libraires et bibliothécaires. Notre objectif est que chaque acteur du monde l’édition puisse mieux comprendre les enjeux et les technologies de ce monde en mutation pour élaborer une stratégie numérique propre, décider de son niveau d’indépendance par rapport aux autres acteurs et imaginer des services inédits dans le monde numérique.

Le matin nous ferons d’abord un panorama des modèles de distribution, des spécificités des différents formats de codage et des interfaces de lecture, de manière à permettre à chacun de mieux comprendre les nouvelles chaines du livre. Nous montrerons aussi sur des exemples concrets que la question du livre numérique aujourd’hui ne se limite pas à question de distribution et codage de fichier, mais qu’autour de ces technologies, un nouveau continent documentaire est en train de faire son apparition. Bibliothécaires, libraires et éditeurs doivent être les acteurs dans l’organisation de ce nouveau territoire. Dans cette matinée, en interaction avec les participants à l’atelier nous essayons donc de cartographier ce paysage en transformation en nous appuyant sur des exemples concrets et des données quantitatives.

L’après midi sera consacrée à la pratique. Lionel Dujol et Bernard Strainchamps (Bibliosurf) nous rejoindrons pour un atelier spécifique destinés aux libraires et bibliothécaires. Ils feront un point sur toutes les questions que ces professionnels doivent se poser avant de se lancer en ligne et sur les meilleures stratégies à adopter.

En parallèle, Hubert Guillaud et moi-même proposerons aux éditeurs de réfléchir concrètement à leur stratégie numérique. Veulent-ils utiliser le numérique pour optimiser leur processus de production, pour gagner de nouveaux clients ou fidéliser leurs lecteurs, pour convaincre de nouveaux auteurs, pour faire vivre les livres sur les réseaux sociaux ? Avant toute décision mieux vaut faire un état des lieu. Mes auteurs souhaitent-ils publier leur livre sur les nouvelles interfaces de lecture ? Mes lecteurs trouvent-ils facilement mes livres ? Parle-t-on de mes livres sur les réseaux sociaux ? Les libraires ont-ils assez d’information pour vendre mes livres ? Toutes ces questions sont des préalables nécessaires avant de définir sa stratégie numérique.

Dans une seconde partie, j’expliquerai comment on peut en pratique convertir ses livres dans les formats de distribution les plus utilisés. Nous ferons ensemble la dissection d’un fichier EPUB. Nous verrons les différentes étapes techniques permettant d’extraire le contenu d’un PDF pour mettre en place une base de donnée de contenu à partir de laquelle il est possible de produire des fichiers dans tous les formats utilisés aujourd’hui. Nous verrons comment certaines étapes de ces transcodage peuvent être en partie automatisée et pourquoi d’autres nécessitent des opérations et vérification manuelles. Tous les participants pourront quitter l’atelier avec les scripts et le nom des logiciels qui leur permettent d’être autonomes s’ils le souhaitent dans ce processus. Ayant compris les bases de ces transcodages ils pourront décider s’il est plus pertinent pour eux de sous-traiter ces processus ou de les intégrer comme des savoir faire internalisés.

Je montrerai ensuite les différentes étapes et options qui s’offrent aux éditeurs pour publier leurs livres convertis sur le web, sur l’iBookStore, le KindleStore, sous forme d’applications sur l’AppStore et l’AndroidMarket. Nous discuterons aussi brièvement des choix stratégiques qui s’ouvrent à eux en ce qui concerne les DRM et le filigranage.

Hubert Guillaud organisera ensuite une séance d’exercices durant laquelle les éditeurs apprendront à mettre en place une stratégie pour faire vivre leurs livres sur les réseaux sociaux. Ces exercices permettront d’illustrer comment utiliser des services comme FaceBook, Babelio, Goodreads, LibraryThing de manière pertinente et efficace. L’enjeu sera ici de démystifier ces services et de montrer par la pratique comment des écosystèmes entiers peuvent se créer autour d’une collection de livres et d’une marque.

Ce sera donc une journée dense et riche mais qui laissera une large place à la discussion. N’hésitez pas à vous inscrire, il reste encore quelques places.

Laboratoire des nouvelles lectures : Bilan d’étape

avril 27, 2011

Le laboratoire des nouvelles lectures a été lancé sur l’initiative du Salon du Livre de Genève pour tenter d’approcher de manière innovante et participative les transformations récentes du monde du l’écrit. Par l’intermédiaire de la plateforme lectureslab.ch nous avons proposé aux lecteurs, auteurs, éditeurs et libraires d’inventer ensemble de nouveaux modèles pour  la lecture de demain, exprimer leurs attentes, leurs peurs et leurs envies. Il s’agissait d’éviter de tomber de les débats stériles qui oppose le papier à l’écran, les anciens et les modernes, pour réfléchir aux nouveaux visages de la lecture et de l’écriture. Nous voulions, pari difficile, faire de cette plateforme un espace où se mêlent les voix des lecteurs de tous les jours avec ceux des professionnels du domaine, où alternent les contributions légères et les débats plus pointus. Bref, servir d’agora pour les multiples communautés de ces « nouveaux lecteurs ». En pratique, nous avons donc d’une part invité cette communauté à réagir à des billets d’analyse et des entretiens avec les professionnels du domaine et d’autre part donné la possibilité à chacun de proposer des projets de réalisation sous la forme d’un « concours d’idées », récompensé par des prix qui permettront d’amorcer leur concrétisation. C’est sans doute cette seconde partie qui a le plus cristallisé les enthousiasmes. A quelques jours du Salon du Livre, nous pouvons dresser un premier bilan.

La diversité des propositions que nous avons reçues nous a conforté que nous étions sur la bonne voie. Les nouvelles lectures font rêver… et pas d’une unique manière. Jugez plutôt. Dans l’imagination des nouveaux lecteurs, le livre demain ne sera peut-être pas seulement une tablette mais plutôt un livre-cinema, projetable dans la paume d’une main, sur un drap ou un mur ou un coussin conteur, antichambre à nos rêves. Il proposera peut-être des senteurs, s’adaptera à ce qu’il sait sur vous. Nous le construirons peut-être nous même en kit. Il deviendra habitable, ouvrant la possibilités à des dialogues entre lecteurs. Imaginez ainsi un livre de recettes qui ne serait aussi un lieu d’échanges entre apprentis cuisiniers. De nouveaux cabinets de lecture communautaires feront peut-être aussi leur apparition. Le livre de demain pourra s’adapter aux handicaps de certains et ouvrir la lecture à des enfants pour qui elle est aujourd’hui difficilement accessible. Et puis, au delà de l’objet lui-même, certains ont imaginé comment introduire plus de fluidité dans le travail des auteurs en mettant en place des outils de co-production et d’accompagnement éditorial au fil du processus d’écriture, ou, à l’autre bout de ces nouvelles chaines du livre, de fluidifier l’expérience de lecture en la segmentant en petits passages courts et quotidiens.

Parmi la variété de ces propositions, le choix sera évidemment difficile et inévitablement arbitraire. Nous remettrons les prix samedi matin au Salon du Livre. Mais au vu de ces quelques mois de création collective et nous pouvons déjà dire que les nouvelles lectures stimulent l’imagination plus qu’elles ne font peur. A côté des grands chantiers qui occupent l’attention du monde de l’édition, tout reste encore à inventer.