L’improbable résurrection d’HTML

janvier 18, 2012

HTML n’aurait pas du survivre au 21ème siècle. Dès 1998, les puissants de l’Internet voulaient laisser mourir cette langue préhistorique et ils avaient des arguments de poids. Pour le World Wide Web Consortium (W3C), le futur langage du web serait une modernisation d’XHTML, une langue claire, précise et sans ambiguïté. Mais dans un recoin du cyberspace, un groupe de rebelles croyait encore au vieux langage des débuts du web. Contre l’avis des sages, ils continuèrent à l’améliorer. Voici l’histoire d’HTML5, avant qu’Hollywood ne l’adapte en film

La standardisation du web et des contenus de l’Internet (livres, films, images, etc.) est un des enjeux centraux pour le futur de la culture. Nombreux sont ceux qui défendent coûte que coûte les standards, les présentant comme les nécessaires garants de l’interopérabilité et la pérennité des données. Sans standardisation point de salut. Le combat rhétorique et technique autour l’ePub s’inscrit dans ce débat. Mais de ce point de vue l’histoire d’HTML5 est riche d’enseignements.

Prenez un navigateur des plus récents, Chrome ou Firefox par exemple. Tentez de charger une des toutes premières pages de web qui, par oubli ou coquetterie, serait restée identique à ce qu’elle était à l’époque. Miracle ! Ça marche. Pourtant ni Chrome, ni Firebox n’existaient quand cette page a été écrite. Les premières règles d’écriture, simples et flexibles, d’HTML ont traversé le temps et les modes. Une telle compatibilité dans le temps est suffisamment rare dans le monde de la technologie pour être soulignée. Les choses auraient d’ailleurs pu tourner très différemment.

Acte I : HTML face au processus de standardisation
A la fin des années 1990, HTML était fortement critiqué. En plus d’être vieux, il n’était pas un « beau » langage. Sa syntaxe n’était pas vraiment stricte. Le problème venait du fait que certaines expressions mal formées étaient malgré tout comprises par les navigateurs. HTML était comme une langue orale et vivante, tolérante aux fautes de grammaire, ouverte à de nouvelles conventions. Mais ce manque de rigueur était devenu intolérable pour certains informaticiens. Le web était maintenant quelque chose de sérieux. Comme dans toute industrie qui se respecte, il lui fallait de vrais standards. Ainsi naquit XHMTL 1.0, un langage XML qui reprenait les conventions d’HTML mais qui en faisaient des règles strictes, validables automatiquement. Grâce à XHMTL, un éditeur de page web comme Dreamweaver pouvait avertir le programmeur imprudent s’il s’écartait de la juste syntaxe. XHTML permettait de garantir qu’une page serait correctement interprétée par tous les navigateurs qui implémentaient le nouveau langage. Les développeurs professionnels applaudirent. C’était fini le temps du grand « n’importe quoi ». Les choses sérieuses allaient pouvoir commencer.

Au départ, ce fut un succès. XHTML devint le standard des programmeurs web sérieux. Mais les moins sérieux découvrirent vite une chose que les sages du W3C auraient aimé cacher. En pratique, la plupart des navigateurs acceptaient aussi les syntaxes qui ne suivaient pas strictement les règles de XHTML. Ils connaissaient la loi mais ne faisaient pas la police. En fait, vous pouviez garder vos vielles et mauvaises habitude de programmation HTML, tout marchait nickel ! Voilà qui était embêtant pour les défenseurs de la rigueur.

Les sages du W3C décidèrent de durcir le ton et proposèrent XHTML 2, une version plus rigoureuse et moins tolérante. Dans cette seconde version, ils remirent en cause les premières bases d’HTML (ex: les balises <h1>,<h2> … ) pour proposer de meilleures solutions plus élégantes et efficaces (ex : une unique balise <h> dont la signification change selon sa position dans l’arbre constitué par une page). Magnifique… seul souci, il fallait que tout le monde réapprenne à écrire des pages web convenables, mais il fallait aussi réadapter toutes les pages existantes.

Acte 2 : HTML résiste et prouve sa vigueur comme langue vivante 

En 2004, alors que le processus de standardisation battait son plein, un groupe de programmeurs prit un point de vue opposé. Plutôt que de s’attarder sur la pureté du langage, ils s’attaquèrent à compléter les pièces manquantes du puzzle technique que représente une application web. Plutôt que d’inventer le langage qui devrait remplacer HTML, ils travaillèrent à étendre, progressivement, par ajouts successifs, les capacités du vieux langage. Leur philosophie était « construisons ce dont nous avons besoin, les standards suivront ».

En 2007, le vent avait tourné.  L’enthousiasme de la communauté était maintenant du côté des travaux de ces rebelles, pragmatiques et respectueux du passé. Revirement rarissime, le W3C décida finalement de ne plus soutenir XHTML 2 et de commencer à formaliser un nouveau standard HTML5. Sauf qu’HTML5 n’était pas un langage unifié mais une collection d’outils, de conventions et librairies.  Personne ne s’accordait d’ailleurs sur ce que l’on devait exactement  inclure dans HTML5.

La tentative de standardisation d’HTML5 n’empêcha pas les rebelles de continuer à faire progresser le langage selon leur philosophie. Pour éviter la confusion, ils affirmèrent qu’ils ne travaillait plus sur HTML5, mais tout simple sur HTML, une langue vivante qui comme toute langue vivante ne peut cesser d’évoluer de changer, toujours en avance sur le dictionnaire des académiciens.

L’histoire d’HTML est celle de la victoire de la pratique sur la règle. Selon cette philosophie de l’innovation, jamais une page HTML ne sera déclarée obsolète. Jamais un page HTML ne sera forcée de contenir un numéro de version. Jamais les développeurs web ne devront remettre à jour leur anciennes pages. Jamais HTML ne devra attendre une nouvelle version pour inclure des innovations. Les fonctionnalités d’HTML les plus récentes ne seront peut-être pas « supportées » dans un premier temps par tous les navigateurs mais si elles sont vraiment pertinentes et intéressantes, les navigateurs s’adapteront et les standards finiront par les officialiser.

La victoire d’HTML sur les processus standardisation conduit à une philosophie de l’innovation inédite dans l’écosystème si complexe de l’ordinateur planétaire. Quelques principes de base. Ne casser pas l’existant. Laisser les utilisateurs explorer les meilleures routes et bétonner ensuite les plus empruntées. Préférer toujours les solutions pratiques aux solutions belles. A méditer …

Ceux qui veulent en savoir plus sur HTML5 et son histoire pourront consulter l’excellent « Missing Manual » de M. MacDonald, dans lequel j’ai largement puisé pour écrire ce billet.

3 Réponses to “L’improbable résurrection d’HTML”


  1. Merci.
    Je suis à Québec. Je viens de voir Milad Doueihi.
    Nous sommes intéressé à l’écriture.
    Nous discutons de divers élément : philosophie/philosophie enfants/art martiaux/littérature/numérique/laboratoire

    Sur un axe : individu-ville intelligente-structure globale

    Humanisme numérique et ville intelligente ?

    Ça vous dit !

    La forme viendra

    Bruno Bernier

  2. Luc Says:

    « L’histoire d’HTML est celle de la victoire de la pratique sur la règle. »
    => Donc on pourra glorifier les kikoolol du langage SMS.
    Pratique > Rêgle.


Laisser un commentaire