La généralisation des techniques de suivi du regard annonce une nouvelle économie de l’attention

mars 13, 2013

Le New York Times nourrit des rumeurs sur l’arrivée prochaine d’un smartphone Samsung équipé en standard d’un dispositif pour le suivi du regard. L’occasion de réfléchir à mon monde où nos regards seraient devenus des données numériques. 

Lorsque je travaillais au CRAFT, nous avions conçu avec Andrea Mazzei et Youri Marko un système de lunettes très bon marché permettant le suivi de regard (A 99 dollars eye-tracker). Nous voulions montrer qu’il était aujourd’hui relativement simple de produire des systèmes capables d’enregistrer le regard avec des composants standards et bon marchés et que les possibilités étaient pour la recherche très intéressantes.

Ces lunettes de lecture sont équipées de deux caméras. L’une, tournée vers l’extérieur, regarde ce que vous regardez, l’autre regarde un de vos yeux. À partir de l’image du livre que vous lisez, nous pouvons calculer sa position dans l’espace par rapport aux lunettes. À partir de l’image de votre œil en train de lire, nous pouvons calculer très précisément l’angle de votre regard. Comment nous connaissons la manière dont les deux caméras sont placées sur les lunettes, il nous suffit de faire un peu de géométrie pour calculer précisément l’angle d’intersection de votre regard avec le livre. En répétant cette opération des dizaines de fois par seconde, nous pouvons tracer avec précision le passage de vos yeux sur une page.

Cette vidéo, réalisée par mon collègue Basilio Noris, à partir des travaux de sa société Pomelo et du CRAFT à l’EPFL, donne une bonne illustration du potentiel de ces technologies.

Le passage des techniques de suivi du regard, pour l’instant cantonnées à des utilisations en laboratoire aux objets de grande consommation annonce un « nouveau régime attentionnel » et une nouvelle économie de l’attention qui vont avoir des conséquences sur les médias culturels. Aujoud’hui, il y a l’audimat et les chiffres de ventes des livres ou de fréquentation.  Les études de suivi du regard sont effectuées simplement à de petites échelles Si le suivi attentionnel se généralise par l’intermédiaire de smartphones équipés de dispositifs de suivi du regard ou de lunettes qui capturent l’attention de celui qui les porte, nous basculerons dans une nouvelle manière de concevoir les contenus culturels.

La généralisation de ces techniques aura une conséquence immédiate sur l’écriture des médias « classiques » ?

— Comment écrit-on un livre ou compose-t-on la maquette d’un magazine quand on sait précisément comment il peut être lu ?

— Comment réalise- t-on un film quand on peut mesurer avec précision l’attention du spectateur ?

— Comment conçoit-on des expositions quand l’attention des visiteurs peut être analysée finement ?

Elle ouvre aussi de nouvelles perspectives. Peut-on créer des contenus culturels qui s’adaptent à la manière dont ils sont « lus » ? Peut-on développer des tableaux qui se modifient selon la manière dont ils sont « vus » ? Les artistes seront, comme souvent, les premiers à s’emparer de cet espace à explorer.

Évidemment la généralisation des techniques du suivi du regard pose de nombreuses questions. Le regard est un témoin intime de notre vie cognitive. Il dit parfois beaucoup plus que les études de neurosciences. C’est une porte d’entrée sur nos pensées.

Notre regard dit aussi notre éducation. Un étudiant en architecture ne regarde pas la même manière un livre d’architecture qu’une personne qui n’a pas fait ce genre d’études. Pour les grands acteurs des médias numériques des données qui valent potentiellement de l’or. Trouveront-ils le moyen d’obtenir ces données contre une expérience interactionnelle à haute valeur ajoutée ?

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